La permaculture, tout le monde en a entendu parler, mais quand il s’agit de la définir ça devient vite compliqué et source de discorde. Notre point de vue est que plusieurs approches cohabitent et qu’au-delà de la théorie chacun l’appréhende selon son propre contexte. Lançons-nous dans un tour d’horizon de la permaculture, de la technique de jardinage au mode de vie !
Une technique de jardinage
Pour certains, la permaculture s’apparente à une technique de jardinage biologique, souvent sur butte ou sans travail du sol. C’est un début, mais il s’agit là d’une vision à la fois partielle et un peu biaisée de la permaculture. Cette approche, plus tendance qu’académique, a le mérite de démocratiser le jardinage biologique et d’inciter les jardiniers à se remettre en question sur leurs pratiques. Elle démocratise notamment les principes de respect du vivant et d’aggradation. En revanche, elle véhicule quelques clichés réducteurs et des méthodes peu efficientes qui peuvent nuire à la crédibilité de la permaculture.
Une forme d’agriculture
Pour être un peu plus précis, on pourrait la définir comme une forme d’agriculture permanente, inspirée de la nature, permettant de concevoir et d’exploiter des systèmes agricoles productifs et résilients.
Cette première définition mérite quelques explications. Par agriculture permanente, on entend l’exploitation de végétaux qui vivent plusieurs années, tel les arbres et arbustes fruitiers ainsi que les plantes et légumes vivaces, à l’opposé des cultures de plantes annuelles (telles que les grandes exploitations céréalières). Inspirée de la nature, signifie qu’on cherche à reproduire des caractéristiques naturelles des écosystèmes telles que la biodiversité et une structure étagée. L’objectif est d’obtenir un système agricole, un ensemble de moyens et d’activités produisant de la nourriture voire des matières premières, avec les mêmes propriétés que la nature. A savoir être productif, c’est à dire produire beaucoup sur peu de surface ; résilient, donc faisant face aux aléas tels que les maladies, les nuisibles, la météo ; et améliorant au fil du temps la fertilité de l’écosystème selon le principe de l’aggradation.
Enfin, ce n’est pas seulement une technique agricole, mais plutôt une méthode permettant de concevoir et d’exploiter des systèmes agricoles tels que nous venons de les décrire. Ainsi, la permaculture n’est pas un ensemble de techniques de jardinage mais plutôt une manière d’élaborer, de réaliser et d’exploiter son jardin ou son système agricole.
Une méthode de conception
Nous avons vu que la permaculture est une approche de l’agriculture particulière qui tend à créer des écosystèmes cultivés. C’est aussi une manière de penser et une boîte à outils qui permettent de faciliter la mise en place de ces systèmes agricoles lors d’un processus créatif appelé design dans le jargon permacole.
La pensée est structurée par deux visions complémentaires : systémique et holistique. Cette approche sera détaillée dans un autre article. D’une manière générale, l’approche systémique nous permet de délimiter notre système et de le décomposer en éléments interconnectés entre eux et portant plusieurs fonctions. Quant à l’approche holistique, liée à celle systémique, elle permet de reconsidérer son système individuel à d’autres échelles, en le sachant indissociable aussi bien de l’écosystème local que global. Ainsi, les solutions doivent être globales plutôt que fragmentaires et pensées à long terme plutôt qu’à court terme.
La boîte à outils peut contenir à la fois des méthodes de conception globales telles que OBREDIM (qui se basent principalement sur l’observation et la mise en valeur des effets de bordures et des ressources), le zonage ou la réutilisation de motifs, ainsi que des méthodes de gestion de projet telles que SMART ou les méthodes agiles. Mais c’est aussi la mise en oeuvre de pratiques plus localisées, souvent reprises ou inspirées des méthodes antérieures à l’agriculture dite conventionnelle, qui font la part belle à la tradition. Il peut s’agir aussi bien de techniques agricoles que de semences anciennes ou d’espèces animales locales.
Nous en arrivons à la définition Wikipedia : « La permaculture est une méthode systémique et globale qui vise à concevoir des systèmes (par exemple des habitats humains et des systèmes agricoles, mais cela peut être appliqué à n’importe quel système) en s’inspirant de l’écologie naturelle (biomimétisme ou écomimétisme) et de la tradition. »
Cette définition, dans son sens le plus large, doit cependant être prise avec des pincettes afin de ne pas tomber dans les travers que résume l’expression « Quand on a un marteau, tous les problèmes deviennent des clous ». Car bien que la permaculture puisse s’affranchir de l’agriculture, cette dernière fait partie de ses fondements. Or, en la déconnectant de ses bases, la permaculture risque de s’orienter vers des analyses sinueuses et conduire à des solutions mal adaptées.
Cependant, la prise de recule de cette définition permet d’affirmer que la permaculture est un paradigme pour la création d’écosystèmes habités, avec un champ d’application allant bien au-delà de l’agronomie et incluant le lieu de vie.
Une philosophie
L’éthique de la permaculture est axée autour de trois principes éthiques fondamentaux qu’on retrouve dans la plupart des sociétés traditionnelles : prendre soin de la Terre, prendre soin de l’humain, et partager équitablement.
Le principe même de prendre soin de la terre, au sens littéral, a été inspiré par Masanobu Fukuoka. Dans son livre La Révolution d’un seul brin de paille, où il raconte et théorise son expérience en agriculture naturelle. On y apprend notamment que, respectant le principe du non-agir taoïste, il enveloppe ses graines de riz avec de l’argile pour les semer ensuite à la volée sur le sol, sans le retourner, ni le travailler. Ou encore que, cherchant à travailler avec et non contre la nature, il s’adapte et se fie à elle pour améliorer sa productivité.
D’un point de vue plus global, en prenant soin de la Terre, la Permaculture permet de remettre l’homme de sciences et l’homo economicus à leur place au sein de la nature, un peu comme Copernic et Newton contribuèrent à remplacer le géocentrisme, tout en donnant un cadre théorique et pratique pour s’y atteler.
En plus du premier principe centré sur la nature, la permaculture a évolué vers la permaculture humaine avec les principes de prendre soin de l’humain et partager équitablement qui sont proches des piliers du développement durable. A ceci près qu’ils semblent plus fondamentaux que ce dernier, peut-être car ils sont liés entre eux par la vision systémique du monde du premier principe, ce qui ne permet pas de rendre durable le non-soutenable…
En plus de ces principes éthiques, la permaculture propose des principes fonctionnels à la fois simples et puissants. Bill Mollison et David Holmgren les présentes différemment mais ils décrivent une même approche de la création d’écosystèmes.
Par exemple, le problème est la solution nous invite à reconsidérer totalement notre approche d’un élément a priori négatif d’un système pour le valoriser en tant qu’élément positif. En général, quand la solution pour faire contre semble compliquée, il existe une solution moins complexe pour faire avec. C’est une invitation à aborder les problématiques en dehors du cadre habituel pour trouver des solutions créatives.
D’autres principes nous invitent à questionner nos réflexions afin de les rendre plus résilientes (chaque élément remplit plusieurs fonctions ; chaque fonction est assurée par plusieurs éléments…), plus efficientes (prévoir l’efficacité énergétique ; penser l’emplacement des éléments…), plus naturelle (travailler avec la nature, et non contre elle ; tout jardine).
L’ensemble de ces principes sont à la base de cette philosophie qui est elle-même le socle de la conception permaculturelle.
Un paradigme
Nous avons vu que la permaculture a une approche systémique de la conception. Cette manière d’aborder les problématiques et d’élaborer des solutions est très structurante pour la réflexion. C’est une démarche de résolution de problèmes dont les solutions sont induites par l’observation et validées localement par empirisme.
Elle propose aussi sa propre vision du monde par son éthique et sa philosophie qui guident le permaculteur dans le choix des solutions en favorisant certaines approches, tout en limitant le choix des possibles.
Ainsi, le consensus qui se dégage entre la démarche scientifique, la philosophie, les croyances, les valeurs et les techniques peut être nommé paradigme. Cette vision du monde cohérente peut être opposée au paradigme dominant de la science réductionniste et challenger celui de la société thermo-industrielle.
Par exemple, en observant les pratiques agricoles à travers le prisme de ce paradigme, il devient illusoire de penser qu’il y a une technique universelle pour l’agriculture régénérative. Les méthodes agricoles doivent prendre en compte les spécificités liées au (micro-)climat, à la structure du sol, à la topographie, aux écosystèmes, aux ressources, aux hommes, etc. Chaque terroir voire chaque localité est ainsi spécifique. Il faut donc trouver des méthodes qui sont adaptées localement pour alimenter la réflexion sur des terrains semblables.
En mêlant approche systémique, observation et induction, biomimétisme, développement durable, conception agricole, conception bioclimatique, valeurs et éthiques, la permaculture peut être envisagée comme un paradigme permettant de développer localement des méthodes écologiques, résilientes et productives pour la création d’écosystèmes respectueux du vivant et adaptés aux cadres de vie humain.
Un projet de société
La permaculture est au coeur du mouvement de villes en transition.
La transition en question est le passage d’un mode de vie dépendant du pétrole et des autres ressources non renouvelables, à une résilience locale prenant en compte le changement climatique. Les citoyens sont invités à agir dans leur commune ou leur quartier pour réduire la consommation d’énergies fossiles, reconstruire une économie locale vigoureuse et soutenable, et acquérir et transmettre les qualifications qui deviendront nécessaires dans l’avenir.
Ainsi, la transition est un mouvement socio-économico-politique dont la permaculture joue un rôle central tant sur le plan philosophique que sur l’approche pour mettre en pratique cette vision globale. Pour y parvenir, alors que les mouvances écologistes majoritaires sont plus axés sur la sensibilisation et la protestation contre le paradigme thermo-industriel, la transition promeut un changement de paradigme au profit de la permaculture.
Qu’elle soit perçue comme une technique de jardinage, une forme d’agriculture, une méthode de conception, un paradigme, une philosophie ou un projet de société, la permaculture peut être une source d’inspiration et un formidable outil pour vos projets. Et vous, quelle est votre vision de la permaculture ?